Le point sur l'industrie agricole canadienne
Par John Haralovich CPA, CAIRP, LIT, Senior Vice President, MNP LTD. et Stuart Person, CPA, CA, Senior Vice President, MNP LLP Agriculture
Toutes les industries sont exposées à des menaces qui influeront sur le succès ou l’échec des entreprises. L’industrie agricole ne fait pas exception. Certains affirment même que les menaces y sont plus nombreuses que dans le cas des industries de fabrication typiques.
Dans le présent article, nous passerons en revue certaines menaces graves et résumerons les perspectives du marché actuel dans l’industrie agricole. (Signalons que les menaces pesant sur cette industrie changent constamment. Au moment de la publication du présent article, les conditions du marché auront sans doute évolué.) Nous vous présenterons des éléments qu’un syndic autorisé en insolvabilité (SAI) devrait prendre en compte lorsqu’il est appelé à venir en aide à un agriculteur ou à un intervenant qui exerce ses activités auprès de l’industrie agricole.
Récoltes
On observe à l’heure actuelle une offre excédentaire de céréales à l’échelle mondiale et rien ne laisse entrevoir un changement à court terme.
Au Canada, tout indique que la production de céréales en 2019 se situera dans la moyenne. Il a beaucoup plu en Ontario au printemps, ce qui a retardé la plantation – et le gel précoce a raccourci la saison de croissance. Dans les Prairies, l’été sec a abîmé les récoltes et réduit le rendement global pour 2019. Les marchés mondiaux ont aussi été marqués par des problèmes touchant les récoltes, mais cet état de choses n’a pas fait augmenter le prix des céréales. On ne connaît pas encore l’incidence sur l’offre de produits agricoles.
Il est important de comprendre les raisons à l’origine de l’offre excédentaire de céréales, alors même que la population mondiale augmente. La peste porcine africaine a éliminé une grande portion de la production de porc en Chine et dans d’autres pays. D’ordinaire, la Chine importe beaucoup de céréales fourragères et de farine de canola. Avec cette réduction de la demande, les agriculteurs canadiens font des réserves dans l’espoir qu’une hausse de la demande sur le marché leur permettra de vendre leurs céréales à un prix beaucoup plus élevé sur les marchés mondiaux. Cette stratégie fonctionne uniquement pour les agriculteurs qui peuvent se permettre de récolter les céréales et de les conserver. Les exploitations agricoles qui ont atteint le crédit maximum disponible sont forcées de vendre leurs céréales à des prix de marché moins élevés.
La situation politique ajoute aux menaces qui planent sur l’industrie agricole. Mentionnons les différends opposant le Canada à la Chine, à l’Inde et aux États-Unis. Les divergences politiques se traduisent par des tarifs douaniers sur les céréales et les animaux d’élevage canadiens, dont le mouvement est de surcroît entravé par une fermeture complète des frontières. En vertu du programme Agri stabilité, le gouvernement du Canada offre aux exploitations agricoles une forme d’assurance administrée par les provinces. Il est possible que ces subventions ne soient pas suffisantes ou qu’elles arrivent trop tard pour permettre aux agriculteurs d’atteindre la rentabilité. Comme ce risque bien réel évolue constamment, les agriculteurs ont de la difficulté à gérer leur entreprise et les intervenants, à gérer correctement la relation prêteur-emprunteur.
Les agriculteurs ont accès à un processus d’indemnisation en vertu duquel Agricorp subventionne les pertes subies au cours d’une année donnée. Cet organisme fédéral compare les coûts et revenus moyens des cinq années précédentes avec les résultats d’exploitation courants. Pendant une année où les revenus sont faibles, il verse une subvention à l’agriculteur. Dans certaines situations, le montant des subventions peut être appréciable. Il s’agit d’un processus complexe, si bien que la plupart des agriculteurs ont recours à une entreprise de services professionnels pour les aider à demander cette indemnisation. Lorsqu’un SAI intervient dans la restructuration officielle d’une exploitation agricole, la participation de l’exploitation à ce programme pourrait permettre d’obtenir une réalisation d’actifs appréciable dans le cadre d’une mission.
Pour ajouter aux problèmes des agriculteurs, le prix de la machinerie agricole a doublé au cours des cinq dernières années, ce qui a accru leur coût de production. Les agriculteurs doivent donc obtenir un rendement supérieur pour à tout le moins rentrer dans leurs frais. Les exploitations agricoles ayant le coût de production le plus faible s’en tient bien. Les agriculteurs louent de la machinerie pour les aider à gérer efficacement leurs coûts. Si la valeur résiduelle de l’équipement est plus élevée que sa valeur marchande à l’expiration de la location, il y a de fortes chances qu’ils rendent l’équipement et louent de la machinerie plus récente. Les institutions qui financent ces investissements ou les concessionnaires de machinerie agricole pourraient être aux prises avec un excédent de machinerie d’occasion ayant une plus faible valeur marchande, ce qui entraînerait des pertes. Ainsi, les établissements de crédit ou les fabricants pourraient se trouver dans une situation comparable à celle qu’a connue l’industrie automobile au début des années 2000.
Pour compenser le coût plus élevé de la machinerie, la valeur des terres suit une tendance à la hausse d’environ 10 % année après année. Or, d’après une analyse de l’industrie, le prix des terres semble atteindre sa valeur maximum partout au pays. Les agriculteurs utilisent la valeur nette de leur terre comme levier pour faciliter leurs emprunts. La stabilisation de la valeur des terres incite les exploitations agricoles qui ont atteint leur limite de prêt à réduire leur coût de production pour accroître leurs bénéfices sur la vente de leurs récoltes. Ceux qui ne peuvent le réduire devront fournir des garanties supplémentaires sur leurs emprunts ou faire face à un plafonnement, voire à une baisse de leur limite de prêt. En l’absence de flux de trésorerie positifs, certaines exploitations agricoles pourraient ne pas pouvoir répondre efficacement aux exigences de leurs prêteurs.
La taille des exploitations agricoles et leurs dettes vont en augmentant, mais les agriculteurs ont des lacunes au chapitre des connaissances financières de base, de la tenue de livres et de la production de rapports. En outre, la planification de la rentabilité, les prévisions de trésorerie et la surveillance sont des outils de gestion qu’ils n’utilisent généralement pas. Or, les intervenants qui commencent à se préoccuper de la viabilité d’une exploitation agricole demanderont aux agriculteurs de présenter des rapports sur ces aspects. Si un agriculteur est incapable de produire cette information, un SAI pourrait être appelé à fournir aux prêteurs l’information dont ils ont besoin pour déterminer si l’exploitation agricole est viable.
Enfin, la relève pose problème pour les exploitations agricoles. La prochaine génération n’attend peut-être pas les petits agriculteurs dans les champs pour reprendre l’exploitation lorsqu’ils seront prêts à partir à la retraite. Dans ce contexte, les agriculteurs vendront probablement leur exploitation à de grandes sociétés agricoles créant des mégafermes. Cette consolidation réduira le risque lié à l’agriculture en raison de la diminution du nombre d’exploitations agricoles. Si un rajustement global en fonction du marché des récoltes devait avoir une incidence négative sur l’industrie agricole – et que l’endettement favorisait la consolidation des exploitations agricoles –, de nombreuses terres agricoles au Canada pourraient aboutir entre les mains des prêteurs.
Les agriculteurs devront porter davantage attention à leurs affaires, car les choses ne sont plus simples. Les exploitations agricoles qui n’utilisent pas les stratégies et les outils susmentionnés dans le paragraphe précédent se trouveront en difficulté, ce qui pourrait entraîner des faillites. En pareil cas, les SAI devront chercher à maximiser la valeur des récoltes et des terres, les réclamations d’assurance et la réalisation de l’équipement.
Fermes D’élevage
Au Canada, 44 % du bœuf produit est exporté, générant ainsi des revenus de 3,7 milliards de dollars. L’augmentation de la demande dans le secteur des fermes d’élevage est principalement attribuable à la réduction des tarifs douaniers imposés en Asie par suite de la conclusion de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste. En outre, on prévoit que la demande continuera d’augmenter au cours des prochaines années, alors que les tarifs douaniers sur le bœuf continueront de diminuer.
En raison de l’évolution du marché, l’Ouest canadien est maintenant concurrentiel pour les terres pouvant servir d’enclos. Par exemple, Walmart a commencé à vendre du bœuf Angus, si bien qu’il y a maintenant un excédent de vaches Holstein nourries au Canada. Les parcs d’engraissement prennent de l’expansion jusqu’aux États-Unis pour assurer une protection naturelle contre les risques de change et parce que le coût des céréales au poids est plus faible.
En ce qui a trait au porc, la peste porcine africaine est l’élément qui perturbe le plus le marché. On estime que cette maladie pourrait toucher jusqu’à 40 % de la production chinoise ou 20 % de l’approvisionnement mondial. En Chine, la protéine préférée est le porc : les Chinois en consomment environ 50 millions de tonnes par an. Comme le gouvernement chinois a récemment levé les restrictions sur les importations de porc du Canada, les producteurs porcins canadiens peuvent s’attendre à une augmentation des prix et à une marge bénéficiaire positive.
Les producteurs canadiens peuvent tirer parti de la faiblesse du dollar canadien pour vendre leurs produits sur les marchés mondiaux. De plus, les agriculteurs qui ont bloqué le prix de leurs récoltes lorsque le prix du porc était plus élevé peuvent avoir une année rentable.
Par ailleurs, l’Accord Canada–ÉtatsUnis–Mexique (ACEUM), qui a remplacé l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), aura une incidence sur l’industrie laitière. Il faudra rajuster les prix du lait canadien en conformité avec le nouvel accord commercial, ce qui aura sans doute des répercussions sur le prix du lait en général. En outre, les importations autorisées en provenance des États-Unis absorberont probablement la croissance dans le marché du lait canadien. Les droits de douane et les quotas prévus par l’ACEUM ne toucheront les agriculteurs qu’au cours des mois suivant la ratification de cet accord commercial. Le gouvernement du Canada offrira un certain soutien aux exploitations agricoles touchées. Toutefois, l’effet net demeure inconnu et il évoluera au cours des prochains mois.
Le prix du lait et des produits laitiers est stable à l’heure actuelle, mais le coût de la production laitière va augmenter. En l’absence d’un accroissement des revenus, grâce à des subventions fédérales ou à une hausse du prix des quotas, les bénéfices des producteurs laitiers diminueront ou leurs pertes augmenteront. Les prêteurs dans le secteur surveilleront de près l’incidence des tarifs douaniers et évalueront la viabilité à long terme des exploitations laitières.
L’industrie de la volaille au Canada est le marché de viande animale qui affiche la croissance la plus rapide. L’ACEUM n’a guère eu d’incidence sur cette industrie, qui est plutôt épargnée. Le risque auquel sont exposés ces agriculteurs tournent autour des besoins liés à la diversification des marchés et des modifications importantes à apporter à leurs installations pour répondre aux nouvelles exigences en matière de traitement des animaux. En outre, l’augmentation du coût de production pour les oiseaux élevés en plein air se traduira par des périodes où les revenus seront en baisse lorsque les agriculteurs convertiront leur exploitation pour répondre à la demande dans ce segment du marché.
Conclusion
Aujourd’hui, Mère Nature n’est pas le seul élément qui fait du tort aux agriculteurs. Le réchauffement planétaire a modifié les tendances météorologiques, entraînant des périodes plus chaudes ou plus humides qui peuvent nuire au rendement des cultures.
L’effet des maladies sur les animaux d’élevage et la demande à l’égard des récoltes ont des répercussions sur toutes les exploitations agricoles au pays – tant dans les secteurs de production animale que dans celui de la production céréalière. L’interdiction d’animaux d’élevage canadiens sur le marché international portera préjudice aux agriculteurs, d’autant plus que les Canadiens consomment de moins en moins de viande.
En outre, les agriculteurs se trouvent au cœur des différends politiques du Canada. Leur sort repose sur la capacité des politiciens à résoudre ces différends et à protéger l’industrie agricole. Si les politiciens ne peuvent mettre fin aux différends, la hausse des tarifs douaniers ou l’interdiction pure et simple des produits agricoles ou des animaux d’élevage canadiens aura des effets en chaîne dans l’industrie agricole toute entière.
industrie agricole toute entière. Les intervenants de l’équipe des services dans l’industrie agricole auront recours aux SAI afin de les aider à évaluer le risque pour les prêteurs. Comme les syndics pourraient être appelés à gérer et à liquider des entreprises agricoles, ils devraient être conscients des obstacles de taille qu’ils devront surmonter pour mener à bien leur mission. Certains problèmes rencontrés par les SAI leur seront sans doute imposés – ils ne seront pas le résultat d’une négociation. Tout dépendra des divers accords commerciaux conclus entre les pays et du contexte politique.